Vendredi 13. Je limite toujours autant que possible mes sorties ce jour là. Je me dis que les jours normaux j’ai déjà tendance à être un boulet, ça n’est pas pour tenter le diable. El Banjo est parti se faire opérer des dents de sagesse, je l’attends, anxieuse. Ca dure plus longtemps que prévu, mais il finit par rentrer la joue gonflée, le regard fatigué, en tenant un bloc de glace contre sa joue.
Je le regarde avec tendresse, je le chouchoute un peu, mais j’ai du travail en retard et j’ai du pain sur la planche ce soir et ce week-end.
Je me dis qu’avant d’entamer ma mission, je vais faire un petit tour sur Twitter, voir ce qui agite les Twittos ce soir. 1 Tweet. 2 Tweets. 100 Tweets. 1000 Tweets. Autant de gens tristes, autant de gens sur place, autant de familles qui cherchent un des leurs, autant d’infos contradictoires, autant d’incompréhension. Twitter va tellement vite pour relayer les évènements que je n’ai même pas le temps de tout retweeter pour informer éventuellement ceux qui n’ont pas encore été mis au courant. Mon téléphone commence à buzzer : mes parents et amis me disent de rester enfermée chez moi.
Je suis pendue à mon fil d’info, comme hypnotisée. Ils parlent du Petit Cambodge, ce restaurant que je ne connais que parce que ma copine Manue me l’a vivement recommandé. Je regarde rapidement mes snaps, et je vois que Manue a décidé de se faire une soirée à regarder des Disney parce qu’elle avait mal à la jambe. OUF. Je lui envoie quand même un petit SMS pour être sûre. Oh et puis à mes amis qui habitent à 20 mètres. C’est bon. Ils sont choqués mais à l’abri chez eux. Quelle nuit j’aurais passée si ils ne m’avaient pas répondu à ce SMS.
Les gens qu’on aime, comme ça, d’un seul coup, on a l’impression que notre sang est lourd comme du plomb. Ca s’appelle la peur.
Apparemment il se passe quelque chose au bataclan. L’horreur. Un endroit fermé. Pris au piège, assassinés au hasard, au cours d’un premier restau en amoureux, d’une marche pour rentrer chez soi après une semaine chargée, d’un concert entre potes pour “kiffer d’la zik”.
Lire des tweets d’une personne blessée au premier étage. Cette personne qui devient instantanément l’un des miens. Cette personne pour qui j’ai arrêté un temps de respirer, à la recherche imaginaire d’une issue de secour dans une salle où je n’ai jamais mis les pieds. Quelques heures après je lis qu’il s’en est tiré. OUF. Voir des vidéos des tirs, des corps au sol… cette vision apocalyptique qui à chaque seconde me fait me sentir plus impuissante. Ca va trop vite. Ils sont trop jeunes. Ca n’a pas de sens. C’est surtout ça.
Vers trois heures du matin j’entends ses pas dans l’escalier, sa porte qui claque, et son pas lourd sur son parquet grinçant. Pour la première fois depuis que l’on habite ici, les pas du voisin ont quelque chose de rassurant. Il ne lui est rien arrivé. On ne peut pas dire qu’on l’aime des masses, le voisin du dessus, mais hier soir je voulais bien entendre ses bruits. Il s’est mis à chanter, puis a mis sa télé à fond pour regarder les infos, puis il est aller se coucher. Il allait bien.
Des civils dans la rue, au restau ou au concert d’un groupe n’étant même pas politisé… Ca pourrait être toi, ça pourrait être moi, ça pourrait être mes amis, ça pourrait être ma famille. On revit le 7 janvier en pire. Comme une petite voix qui nous dit “Mais nous n’avons jamais prétendu que nous nous arrêterions après Charlie”. Et c’est vrai.
On le sait qu’ils sont là, ces soldats d’une “cause” que nous ne comprendrons jamais, on le sait qu’ils attendent que nous baissions un peu nos gardes, pour nous frapper à chaque fois un peu plus fort.
Comme une compétition d’optimisation de la médiatisation de leur acte, et la volonté de fournir le plus d’images choc possible pour marquer et traumatiser les esprits. A croire que même les terroristes ont envie d’une fin hollywoodienne.
Aujourd’hui, on reste enfermés chez nous, on attend de savoir si c’est fini. Le Banjo en a oublié ses dents de sagesse et avale sa soupe bio froide sans grande conviction. On reste éloignés des fenêtres. Je me demande comment mon père a expliqué ça à mon petit frère.
Je me demande pourquoi les gens attendent que ce soit “fini”. De toute évidence, même si c’est “fini” ça sera fini “POUR CETTE FOIS”.
Le message est limpide, plus personne n’est en sécurité nulle part, indépendamment de leur âge, leur couleur, leur religion, leur nationalité. Et le post-scriptum est clair “On est là, on est prêts, et on peut agir n’importe où et n’importe quand.”
Et j’ai bien peur qu’il y ait surenchère à chaque fois.
Est-ce à cela que vont ressembler nos vies maintenant ? Quelques joies vite effacées par d’inoubliables chagrins ? Hésiter à aller voir un film, boire un verre ou aller travailler ?
Prenez soin de vous.
15 commentaires
Amen…
As soon as I heard the first of it my thoughts went to you. I am glad you 2 were not harmed, at least physically so. Impossible to understand.
Nous resterons debout
Hello Mélo, comment vas-tu?
Oui tout le monde est boulversé, c’est assez choquant ce qu’il s’est passé, mais j’aimerais me vider l’esprit de tout ça, je le sentais qu’il allait se passer quelque chose, ce vendredi.
Mon papa est dans les forces de l’ordre à Paris, et j’ai été très inquiète le concernant dès que j’ai appris tout le massacre, comme toi sur les réseaux sociaux.
C’est assez dingue mais j’admire le courage des forces de l’ordre et tout le soutien que le pays a reçu, en fait tout le monde est uni, c’est un peu rassurant.
C’est vrai qu’on a peur de sortir de chez nous maintenant, mais on ne va pas s’empêcher de vivre tout de même.
Je te souhaite une bonne journée malgré tout,
Jade
Je ne me sens clairement plus en sécurité à Paris.
J’espère que tu vas bien ma Mélo ? Les évènements tragiques qui se sont déroulés ce Vendredi sont vraiment dramatiques et je suis d’accord avec toi qu’une surenchère est à craindre. Mes pensées vont aux familles des victimes à ce jour et à toutes les personnes ayant assisté à ces horribles actes perpétrés par des personnes déshumanisées.
Prends soin de toi en tous les cas, je t’embrasse bien fort.
Je me suis souvent sentie chanceuse et privilégiée de ne pas vivre dans un pays en guerre, de ne pas ressentir la boule au ventre en allant chercher une baguette… Mais aujourd’hui ce n’est plus le cas, je pense effectivement que l’insécurité est et sera. Mais je me refuse à ça, alors je vis de toute mes forces, même si c’est plus dur qu’avant.
It’s such a tragedy, I hope nothing like this ever happens again.. Stay safe!
Tellement bien écrit, comme toujours…
Je trouve ton article très bien écrit
Je crois en des jours meilleurs, j’espère ne pas me tromper
Tant que nous y croirons et que nous lutterons contre ceux qui nous en empêchent
Tres bien ecrit. Je suis en deuil avec Paris…
Angela Donava
http://www.lookbooks.fr/
Mon Dieu, j’en ai les larmes aux yeux… Vraiment, Mélo, j’ai envie de te dire un big MERCI pour ce bouleversant article. Depuis vendredi, l’ambiance est vraiment lourde et je pèse mes mots. Cependant, j’ai discuté avec pas mal de gens aujourd’hui et ça me rebooste car tous ont malgré la peur cette envie de vivre, de profiter de chaque instant.
Soyons forts et unis et tâchons de vivre au mieux, tout simplement…
Grandes pensées à toutes ces victimes, aux rescapés ainsi qu’aux proches dans le deuil. Sans bien sûr oublier les forces de l’ordre et tout le personnel de sauvetage et médical que je salue pour leur bravoure et leur magnifique travail.
#prayforparis
c’est vraiment horrible ce qui s’est passé, même de loin on a tous été très choqués. Fait attention a toi. xoxo
meme ici a Barcelone je ressens de la peur alors j’imagine les gens qui habitent a Paris, c’est horrible, mais on continue a vivre, a sortir a boire des coups quoi. jai passé le weekend dernier a ecouter les infos, je décrochais pas et j’ai super mal dormi.soyons fort.
bise
Soulagée de lire que tu vas bien et que tu as vécu cet enfer “de loin”… A Bruxelles, on se croirait en temps de guerre (bon, on l’est sûrement un peu), les militaires sont partout, les écoles, crèches, magasins et métro sont fermés depuis samedi. Les touristes et badauds sont remplacé par la danse lente des camions militaires.
Je suis bien contente de ne plus habiter la capitale pour retrouver le calme et la sérénité de l’ambiance de ma campagne.
Personnellement, je vais continuer à vivre et à me projeter dans l’avenir, d’autant plus pour mon petit mec qui va bientôt pointer le bout de son nez dans un drôle de monde… Bref, on s’accroche et on vit!